Life Without Sex
Introduction
> Discographie (1999-2000)
Discographie (2000-2002)
Conclusion

 

DISCOGRAPHIE COMMENTÉE
de 47ASHES



Les disques de 47ASHES sont des CDR entièrement produits, réalisés (design global, cover) et diffusés par Pierre BARTHÉLÉMY (le résultat final étant conçu comme un "tout visuel et sonore"). Le mode d'enregistrement utilisé est le lo-fi (comprendre low-fi) afin de «Forger l'énergie brute du son» (BARTHÉLÉMY). La musique est constituée de "morphèmes" (terme issu du grec morphé et signifiant forme) et met en jeu d'arides "Unités Minimales de Signification".

La création, instable dans les techniques (enregistreur numérique adjoint à d'énigmatiques gadgets obsolètes récupérés, selon les enregistrements –cet artisanat du minimalisme que P. BARTHÉLÉMY nomme "Art soustrait par excellence"), rend compte d'une préoccupation obsessionnelle pour l'oppression et tend au fil des enregistrements, vers un durcissement certain (sons de plus en plus harsh).


o "MY FIRST BLACK ALBUM" CDR (1999) (une seule plage de 15''07', 8 tracks/47 copies).

Réalisé entre 1997 et 1999 à partir de "boucles commerciales" sur un matériel aussi dépassé qu'inconfortable (un ordinateur de la première génération), édité sous forme de cassette puis réédité en CDR, ce travail constitue la première manifestation de 47ASHES.

La pochette, dans les tons sépia (une unité de style qui sera retenue pour les cinq premiers CDR), montre un bouc velu, préfiguration probable de l'illustration de "MORGENSHEUTEGESTERNWELT – POP MUSIC" qui paraîtra deux ans plus tard. Le graphisme et la dénomination de certains morceaux évoquent irrésistiblement une influence dark, à la limite du gothique.

Malgré le visuel encore typé, "MY FIRST BLACK ALBUM" (défini comme une réalisation "True Noise-O-Tronics") offre une réflexion sur l'ancien (ritualité –par l'emploi de voix féminines tantriques et de percussions tribales recréées) et l'ultramoderne (fausses boucles se décantant progressivement; manipulations de bruits blancs parfois proches de l'electronica; voix synthétiques; rythmes électroniques syncopés évoquant un break-beat primitif) et met en relief la persistance de l'archaïque et de l'ancestral dans la sous-culture actuelle (le matériel de départ étant de la muzak).

Cette réalisation mi-rituelle mi-synthétique condense déjà des éléments typiques, la 'griffe 47ASHES' : plages de "son pur irrégulier", nous y reviendrons, bruits de machineries inventées et adjonction de motifs variés (rythmes fracturés, voix féminines rituelles ou orgasmiques, accidents routiers...). "MY FIRST BLACK ALBUM", constitué d'éléments disparates voire incompatibles, présente un aspect futuriste décalé, ce qui n'empêche en rien une unité certaine.

Pour ce 1er CDR, 47ASHES aborde deux options : le rythme ("Raw Law" par exemple) et le travail sur le son saturé (l'imparable "Harsh Crash").


o "SONGS FOR THE FINAL BARBECUE" CDR (2000) (8 tracks; running time : 16'/47 copies).

Sous-titré "Misanthropocalyptic Music", c'est «un gadget chic, kitsch et martial destiné à devenir l'album de chevet et le recueil de poésies de tous ces jeunes chiens féroces qui ont les yeux remplis de runes enflammées» (Frater St Pierre). Cet authentique "Ragnarok'n roll" dont on est dans l'incapacité totale d'affirmer (la même situation d'incertitude-ambiguité se présentera à maintes autres reprises) s'il est un hommage sérieux au mouvement "europaganiste" (notamment représenté par DEATH IN JUNE) ou au contraire une moquerie, a été forgé en utilisant une console de jeux-vidéo. Le thème est "la terre enflammée" (traduire : la "fraternité d'armes" aveugle).

L'illustration de couverture donne à voir une jeune embrigadée (vêtement austère des colons, si ce n'est le tissu 'camouflage', logo de 47ASHES brodé sur la manche) armée d'un antique fusil et assurant la stricte surveillance d'un territoire voulu idyllique.

La musique proposée suit des modèles plus 'classiques' que "MY FIRST BLACK ALBUM" : il faut y voir non pas un recul stylistique mais l'adaptation et la volonté d'illustrer un état d'esprit particulièrement véhément par ce qui le caractérise le mieux : les rythmes.

Rythmes martiaux, comme l'on s'y attendra ("Sacro Terra"), mais aussi rituels : ainsi "Chasse Sauvage" salue le "souvenir [des] mœurs d'autrefois" (texte de LOVECRAFT), ce primitivisme de clan, dont la perpétuation assure la mémoire collective mais aussi, en corollaire, entretient les activités extrémistes.

Étrange parenthèse, le bref "Technonsense" (pouvant être l'introduction de "Pro Patria" qui lui est immédiatement accolé) est constitué de boucles de voix dérisoires sur fond de dance. "Technonsense", comme son nom l'indique, oppose la musique 'à la mode' aux rigides pensées traditionaliste dont "SONGS FOR THE FINAL BARBECUE" tire sa substance.

On trouvera en bonus track "L'Appel" (c'est certainement l'unique occasion d'appréhender directement la voix de Saint-Pierre dans la discographie), morceau industriel, vindicatif et aux percussions ferrailleuses, enregistré live aux défunts Etablissements Phonographiques de l'Est (Paris), le 12 juillet 1992, sous un autre nom que celui de 47 ASHES (le projet solo de BARTHÉLÉMY n'étant qu'un désir non encore concrétisé).


o "NOISE, NAPALM AND NECROPSY [THE J.G. BALLARD SESSIONS 1994-1995]" CDR (2000) (5 tracks; running time : 16'24''/47 copies).

Cette célébration posthume de l'auteur de science-fiction (le sous-titre est "IN J. G. BALLARD™ SCI-FI HI-FI. It's a noise's noise's noise's noise's noise's (...) world") illustre le matérialisme high-tech de notre époque (le plastique et le métal) et les pratiques érotiques de fusion de ces éléments avec la chair (piercings, jeux sexuels, mutilation...). Par delà la parabole (le livre "CRASH" de BALLARD), c'est bien un état de fait qui se trouve explicité : la condition de l'homme moderne, physiquement et socialement dépendant des possessions mécaniques ultramodernes (situation qui n'a guère évolué depuis la rédaction de "CRASH", en 1973).

La pochette montre des mains lors du placement fétichiste de gants chirurgicaux.

Musicalement, cette réalisation marque une avancée notable; alors que les morceaux précédents incluaient en arrière-plan un tapis de manipulations électroniques discrètes mais denses sur lequel se déployaient les compositions, ce sont maintenant ces "arrière-plans" qui constituent l'essence du CDR.

Les rythmes ont disparu, les morceaux tiennent d'un mélange subtil de Noise et d'électronica saturée. "NOISE, NAPALM AND NECROPSY" est un travail dur, minimaliste mais évanescent. Si le matériau est agressif (murs de bruit blanc irrégulier, manipulations harsh), paradoxalement, et c'est la réussite de ce CDR, le résultat est organique et vibre à la façon du vivant. Ce désir d'abstraction est traversé de rares lignes mélodiques obsessionnelles, épurées ("Twentieth Century Vox" ou le titre "Dead Girls Love Disco", rappel d'un 7" antérieur...), fragiles miniatures se détachant sur une électronique oppressante et ultimes ancrages de sens au sein de la masse sonore. Les structures sont unies au Noise qui se dévide mais c'est bien la texture sonore saturée qui tient le premier plan; d'ailleurs "Autobahn Never Sleeps", track le plus extrême, fait fi des fioritures et donne à entendre pour elle-même cette "rumeur" primordiale qui court tout au long de l'opus.

L'écoute des ces cinq morceau induit un sentiment d'apaisement et de flottement dans le maelström. Hypnotique et osmotique, vivant et brutal à la fois, "NOISE, NAPALM AND NECROPSY" entraîne l'auditeur au cœur du son pur (on saisi là exactement ce que signifie "Forger l'énergie brute du son"), dans un état semi-éveillé inféodé à la musique.


o "HALLALI HÉBOÏDOPHRÉNIQUE – THE FIRST ULTRA REALISTIC URBAN RECORDING" CDR (2000) (1 track; running time : 14'12''/47 copies)

Ce projet, orné d'un pit-bull en couverture, que certains ont déclaré inspiré du fameux "BRANDFORD RED LIGHT DISTRICT" de BENNETT est en fait bel et bien un enregistrement 'à la façon de' VAGINA DENTATA ORGAN (W.S.N.S.) : au vitriol; un ready made brutal et sans fard à juger sur pièce.

«Les prises de son de ce disque ont été entièrement réalisées EN MILIEU NATUREL URBAIN (aucun autochtone n'a été blessé ou maltraité durant celles-ci» (Frater St Pierre).

Les agissements de ces acteurs bien involontaires, cobayes malgré eux, ont été captés furtivement grâce à des micros dissimulés. Ces extraits LIVE de tranches d'existence nocturnes au centre d'un ensemble d'immeubles parisiens (où vit l'artiste) condensent tous les dérèglements sociaux que peut exhiber la vie en communauté : tapages, scènes de rue, rixes, deals et trafics divers, échanges d'insultes (le leitmotiv "ta mère la pute" ponctuant avantageusement le CDR), bris de bouteille, incendies de poubelles, dégradation diverses des parties communes, courses de scooters dans les couloirs... Un 'concert-performance' permanent.

Au delà de l'anecdotique, ce travail brut trouve une résonance universelle en restituant fidèlement le fonctionnement habituel de ces «zones de non-droit» (Frater Saint-Pierre) qui jalonnent la planète. Si "SONGS FOR THE FINAL BARBECUE" renvoyait aux idées de sauvegarde des frontières, de 'patrimoine', de race et d'ordre établi, "HALLALI HÉBOÏDOPHRÉNIQUE" en est le pendant de même que le complet contrepoint idéologique. Le point commun de ces deux œuvres est l'extrémisme, la violence (mise en application de "la loi du plus fort", règle qui se vérifie en chaque lieu et à tout moment mais qui trouve dans "HALLALI..." une célébration directe) et, en lointain écho, l'émeute en tant qu'événement incontrôlable.

N'encourageant ni ne dénonçant en rien une situation, cet enregistrement ultra-conceptuel n'en est que le simple reflet (on a qualifié ce CDR de "Révoltant !"; on ne sait pas si c'est la démarche qui est visée ou le matériel gravé...). "NOISE, NAPALM AND NECROPSY" marquait un net virage stylistique par l'éloignement mélodique. "HALLALI HÉBOÏDOPHRÉNIQUE" est en revanche une cassure abrupte dans la discographie de 47ASHES : un degré supplémentaire vers les non-musiques est conquis et exploité (c'est l'avant-dernier degré du son : le document brut – l'ultime palier étant le silence).


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